Économie

Souveraineté alimentaire : l’Algérie met le cap sur les oléagineux

Afin d’assurer sa souveraineté alimentaire, l’Algérie a décidé de lancer sa filière intégrée des oléagineux pour produire ses propres huiles végétales.

Cette filière comprend deux aspects. Le premier est industriel avec le lancement des usines de trituration dont celle de Cevital qui entre en production ce mardi 30 mai.

Le second est agricole, avec le lancement d’un programme ambitieux de développement des oléagineux, principalement du colza et du tournesol.

Les premières parcelles de tournesol sont en début de floraison. Afin d’encourager ce type de culture, des prix attractifs sont proposés aux agriculteurs.

C’est au début mars, à l’occasion d’un séminaire national sur la culture du tournesol que le secrétaire général du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Hamid Bensaâd, a annoncé le lancement du programme tournesol en Algérie.

Un programme dont l’objectif est de réduire la facture d’importation d’oléagineux et d’arriver à une autosuffisance en huile de table à partir de graines oléagineuses issues de l’agriculture locale.

À l’occasion, ce responsable a indiqué que « toutes les conditions ont été réunies », ajoutant que « les wilayas, les opérateurs et les intervenants ont été définis et que les techniciens ont été mobilisés pour la réussite de cette opération ». Effectivement, des réunions d’information et la mise à la disposition de semences ont été prévues dans différentes régions.

Tournesol, des primes incitatives

À la mi-février, Mohamed El-Hadi Sakhri, directeur de la production et de la régulation des filières végétales, avait présenté les grandes lignes du programme consacré à la culture du tournesol.

Une surface de plus de 45.000 hectares est consacrée au tournesol et au colza en 2023. « Ces superficies devraient augmenter progressivement au fil des années, avec un rendement escompté de 20 quintaux à l’hectare », avait-il déclaré.

Au nord de l’Algérie, le ministère estime les superficies pouvant être consacrées au colza à 700.000 hectares et au tournesol à plus de 600.000 hectares. À cela, il s’agit de tenir compte des superficies consacrées aux cultures stratégiques dans le cadre de l’attribution de concessions agricoles par l’Office du développement de l’agriculture saharienne.

L’objectif affiché par le ministère de l’Agriculture est de produire les oléagineux destinés à la transformation agro-industrielle en Algérie.

« Pour encourager les acteurs du secteur à adhérer à ce programme ambitieux, les pouvoirs publics accordent des primes de production de 3.000 DA par quintal aux agriculteurs individuels et au fermes-pilotes », a indiqué Mohamed El-Hadi Sakhri.

Une prime d’intégration de 500 DA par quintal devrait être accordée aux unités de trituration. Quant aux Coopératives des céréales et des légumes secs (CCLS), elles devraient recevoir une prime de collecte de 200 DA par quintal.

Ces primes devant être accordées par virement sur le compte des bénéficiaires par le Trésor public ou la Banque de l’agriculture et du développement rural (BADR). Des primes qui viennent compléter le prix d’achat de la récolte des agriculteurs.

Dans le cas du colza, le prix d’achat du quintal par les CCLS a été fixé à 9.000 DA contre 7.500 DA auparavant.

Champs de tournesol à Annaba

Fin février, à Annaba, Abderrahmane Bordjiba a semé du tournesol non-irrigué sur plusieurs hectares. Quelques jours après, les plants sont apparus bien espacés les uns des autres comme recommandé par les techniciens.

En quelques semaines ils ont atteint 20 centimètres de haut, mais les mauvaises herbes se sont également développées. Bien qu’il existe des herbicides et la possibilité d’utiliser une bineuse, l’agriculteur a préféré réaliser un désherbage manuel.

Début mai, les plants de tournesol avaient atteint près d’un mètre de hauteur et leurs feuilles faisaient assez d’ombre pour éviter aux quelques mauvaises herbes ayant échappé au désherbage de nuire à la culture.

En cette fin mai, les plants ont atteint 1,70 mètre et à leur sommet le bouton floral est prêt à s’ouvrir. Les plants ont profité des dernières pluies et présentent un développement impressionnant que les techniciens qualifient d’exubérant tant la masse de feuilles est importante.

La crainte est qu’un trop fort développement de ces feuilles ne requiert d’importants besoins en eau au moment de la floraison et cela au détriment de la formation des grains et de leur teneur en huile.

Sur les réseaux sociaux, Abderrahmane Bordjiba indique que son objectif était d’arriver à 100.000 pieds par hectare. Les comptages réalisés sur quelques mètres en différents points du champ lui ont permis de comptabiliser une moyenne de 80.000 pieds, ce qui reste honorable. Les semis ont bien résisté aux oiseaux et aux différents aléas lors de la délicate période de germination.

Tournesol : un itinéraire des plus simples

L’itinéraire technique du tournesol est simple et ne présente pas de difficultés particulières si ce n’est de respecter certaines règles de base.

Comme pour le maïs, le semis nécessite un semoir monograin. La plante aime le soleil et ne tolère pas que les plantes voisines lui fassent de l’ombre aussi est-il nécessaire de laisser une distance d’une vingtaine de centimètres sur le rang entre chaque pied et au moins 50 cm avec le rang voisin. Cet espace présente l’avantage de pouvoir faire passer une bineuse ou une houe rotative pour le désherbage mécanique.

Contrairement au blé qui développe plusieurs tiges portant chacune un épi, un pied de tournesol ne possède qu’une seule tige et donc une seule fleur.

Aussi, c’est le nombre de pieds qui détermine le rendement. Dans les réunions de wilaya, les techniciens ont insisté sur la préparation du sol avant semis. Celle-ci ne devant pas comporter de grosses mottes de terre pouvant gêner la germination.

Les oiseaux peuvent déterrer les semences ou attaquer les jeunes plantules. Aussi, les conseillers insistent pour veiller à la régularité de la profondeur de semis.

Celle-ci assure une levée homogène et plus tard une maturité homogène ce qui évite les risques de récolte tardive. Un point essentiel car, une fois les capitules mûrs, les graines qu’ils contiennent peuvent être la proie des moineaux.

Autre conditions de récolte, contrairement aux céréales, le tournesol présente une racine pivotante, aussi les agriculteurs devront choisir leurs plus belles parcelles.

Le tournesol bénéfique au blé

On a pu entendre des interrogations quant au risque de concurrence de la culture des céréales par les oléagineux. En fait, il n’en est rien. Ils ne concurrencent pas les céréales et leur sont même profitables.

Pour éviter l’installation des ravageurs inféodés à un type de culture, l’agriculteur doit alterner dans ses champs différentes familles de plantes : céréales, oléagineux ou légumineuses.

À ce titre, la présence des oléagineux permettra de combattre plus efficacement les mauvaises herbes du blé comme le redoutable brome ou les maladies cryptogamiques.

Autre avantage non négligeable, les dates de semis du tournesol sont décalées par rapport à celles du blé. En étalant le travail sur différentes périodes de l’année, le tournesol permet d’éviter les pointes de travail de l’automne. Pointes dont souffrent actuellement les semis de blé et qui se traduisent par des retards d’implantation et donc une plus grande sensibilité du blé à la sécheresse.

Est-ce que cela signifie que la réussite du programme de 45.000 hectares de tournesol au nord est assurée ? Pour chacune des régions, qu’elles soient situées à proximité du littoral ou à l’intérieur du pays, il reste à déterminer les dates optimales de semis.

Des essais sont également en cours dans le sud de l’Algérie. Ils indiquent des différences de rendement d’une dizaine de quintaux selon la date choisie. Ce qui a un effet déterminant sur le revenu final.

Une récolte délicate

Reste à voir les rendements qu’obtiendront les agriculteurs qui en 2023 se sont lancés dans cette nouvelle culture. Les points délicats restent nombreux : effet d’une date de semis tardive, éventuels dégâts d’oiseaux sur les capitules ou risques de pertes à la récolte.

Sur ce point, Abderrahmane Bordjiba s’est fait une raison, il faut bien que ces créatures puissent également profiter de ce qui pousse sur terre. Mais surtout, il pense qu’une extension des surfaces en tournesol ne pourra que réduire la pression unitaire des oiseaux.

Pour la récolte, le matériel est le même que celui utilisé pour le blé. Cependant, pour le tournesol la barre de coupe utilisée est différente. L’absence de ce matériel spécifique ou des réglages inadaptés peuvent se traduire par des pertes à la récolte et auraient des effets désastreux sur la poursuite du programme.

Le tournesol ne laisse pas de paille après récolte, une paille qui en ces temps de pénurie de fourrage constitue une source de revenu non négligeable pour l’agriculteur. Cette culture intéressera-t-elle les agriculteurs ?

Enfin, reste la délicate question de la collecte. Si pour le blé, le nombre considérable de minoteries sur le territoire national réduit d’autant plus les besoins logistiques, dans le cas des oléagineux, les triturateurs d’oléagineux ne devraient être que de trois, ce qui oblige à des transports sur des distances plus longues.

Des semences hybrides importées

Quant aux semences, ce sont des hybrides qui viennent de l’étranger. Face à la demande des pays du Maghreb, les semenciers européens ont mis sur pied depuis 2019 le programme Maghreb Oléagineux.

Ce programme vise à développer un partenariat sous forme d’appui technique. Dans le cas du tournesol, au vu du programme ambitieux décidé en Algérie, la filière française des oléagineux se déclare ouverte concernant l’approvisionnement en semences.

Contacté par TSA, Guenaël Le Guilloux, le responsable à l’international de la filière, se dit prêt à étudier, dans le cas de certaines variétés de tournesol, un éventuel programme de production de semences en Algérie.

Abderrahmane Bordjiba espère arriver à un rendement de 30 quintaux par hectare, ce qui devrait lui assurer un confortable revenu. Cependant, il indique : « C’est nous qui travaillons toute l’année la culture. Il serait anormal que l’industriel reçoive une part de bénéfice supérieure à la nôtre ». Il reste cependant confiant et appelle les agriculteurs des wilayas des Annaba, Tarf et Skikda à cultiver du tournesol.

L’an dernier, ce sont ces questions techniques et organisationnelles qui ont jeté une ombre sur le programme colza. Toute nouvelle culture peut connaître des tâtonnements à ses débuts. Le plus important est que les agriculteurs sentent qu’ils ne sont pas isolés et que conseillers techniques, centres de collecte et agro- industriels sont mobilisés à leurs côtés.

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