Économie

Réforme des assurances en Algérie : Hassen Khelifati détaille sa vision

L’Algérie a accueilli, du 27 au 31 mai dernier, la 49e conférence de l’Organisation africaine des assurances (OAA) sous le thème « La contribution de l’assurance aux défis de la sécurité alimentaire en Afrique ».

Dans cet entretien accordé à TSA, Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances, revient sur les recommandations formulées à l’issue de ce grand événement dont il était président de la commission de communication, du sponsoring et du protocole au niveau du comité d’organisation de cette 49e conférence de l’OAA.

Il explique également comment encourager les agriculteurs algériens à assurer leurs cultures contre les calamités naturelles comme les inondations ou la sécheresse.

Quels sont les résultats concrets de la 49e conférence de l’Organisation africaine des assurances qui vient d’avoir lieu en Algérie ?

La conférence a été marquée par une très bonne organisation.

C’est un grand défi sur le plan logistique et organisationnel.

Il y a eu beaucoup de débats qui ont permis le partage d’expériences et d’expertises entre les participants. Les débats ont fait notamment ressortir l’existence d’autres modèles à appliquer.

Le modèle actuel en vigueur dans beaucoup de pays africains, y compris en Algérie, doit évoluer parce qu’il y a eu beaucoup de changements.

Dans la branche de l’assurance agricole, par exemple, de nouveaux défis climatiques ont un impact direct sur le rendement de l’agriculture.

Mais il y a aussi des défis géostratégiques qui ont des répercussions directes sur l’approvisionnement des marchés locaux en produits de grande consommation à l’image des huiles, du blé, de l’urée… etc.

Si dans certaines régions du monde, des pays ont adopté de grandes cultures agricoles à caractère technologique et industriel, en Afrique, nous avons beaucoup de cultures vivrières avec de petites exploitations.

L’Algérie commence à s’ouvrir vers de grandes exploitations agricoles notamment au sud du pays où il y a de grands investissements stratégiques.

Face à ces défis, il y a la nécessité de développer la micro-assurance pour les petites exploitations.

Il y a aussi les assurances paramétriques, c’est-à-dire les assurances qui prennent en charge beaucoup de paramètres.

L’intelligence artificielle est, par exemple, utilisée pour tenir en compte des paramètres historiques, de l’évolution du climat… Le but est d’essayer de trouver des réponses adaptées.

En Algérie, nous avons un modèle classique, basé sur la relation agriculteur/compagnie d’assurance. Résultat : nous ne sommes pas à la hauteur des objectifs escomptés.

L’Agriculture algérienne représente 35 milliards de dollars de production, soit entre 18 et 20 % du PIB du pays.

Le secteur des assurances représente 0,7 % du PIB dont l’assurance agricole ne représente que 1,7 à 2 %.

Le gap et le retard sont énormes ! Des indicateurs montrent que seuls 20 à 25 % des agriculteurs algériens ont un contrat d’assurance.

Les participants à la conférence de l’Organisation africaine des assurances (OAA) ont été unanimes à dire que nous devons changer de paradigme.

Au lieu de rester dans un duel assureur/agriculteur, nous devons passer à un trio, composé de l’assureur, l’agriculteur et l’État.

Ce dernier est appelé à subventionner d’une manière ou d’une autre la prime d’assurance.

C’est une incitation et en même temps une obligation car l’agriculteur qui n’a pas de contrat d’assurance, ne sera pas indemnisé en cas de catastrophe.

Cela va permettre le développement de la culture d’assurance. Nous ne devons plus refaire les erreurs du passé.

Il ne faut pas qu’il ait de nouveaux monopoles de certains acteurs publics.

L’État doit favoriser la concurrence pour améliorer la qualité de service. Il faut bannir la concurrence déloyale, les monopoles et les positions de dominance.

Pour beaucoup d’Algériens, l’assurance était autrefois perçue comme un impôt direct.

Il y avait une seule compagnie qui proposait l’assurance automobile pour les particuliers.

Il y a aussi certains acteurs du marché intéressés qui essayent de diaboliser le secteur privé en faisant croire qu’il n’est pas solvable afin de faire diversion sur les vrais problèmes et détourner le regard sur la réalité des chiffres…

Ces attitudes sont mauvaises pour construire un secteur des assurances équilibré où il n’y a pas de discrimination et égalité des chances sans regard à l’origine ni la qualité des actionnaires.

La force doit être à la loi et chaque acteur doit respecter son périmètre d’intervention et jouer le jeu de la concurrence loyale, développer son segment du marché et la régulation doit s’appliquer à tous de la même manière et sans discrimination.

Les recommandations de l’Organisation africaine des assurances (OAA) doivent être traduites sous forme de réglementation et de mécanismes à mettre en place en Algérie d’autant plus que nous ne sommes pas à l’abri des changements climatiques majeurs.

Je tiens à remercier monsieur le Premier ministre pour avoir parrainé ce grand événement et pour avoir assisté à l’ouverture des travaux, ce qui dénote de l’importance que le gouvernement algérien accorde à notre secteur.

Lors de l’ouverture de la conférence, le Premier ministre a annoncé la révision du cadre juridique qui régit le secteur des assurances en Algérie.

Il a également indiqué que la loi devra être soumise aux deux chambres du Parlement avant la fin de l’année. Nous espérons la mise en place d’une agence indépendante de régulation du secteur des assurances. L’idée fait l’objet d’un large consensus.

Alors que les taux de pénétration moyen du secteur des assurances dans les pays arabes, en Afrique et dans le monde sont respectivement de 1,5 %, 2,5 % et de 7 %, en Algérie, ce taux n’atteint même pas 1 %.

Pourtant, nous avons un PIB très important. Nous sommes capables d’améliorer les choses et très rapidement.

Par quel mécanisme l’Algérie assure-t-elle actuellement la présidence de l’Organisation africaine des assurances (OAA) ?

Au sein de l’organisation africaine, il y a une tradition qui fait que le pays qui organise la dernière conférence, préside de fait l’organisation l’année d’après. Ce n’est pas une élection.

L’Algérie est actuellement représentée par deux cadres du secteur des assurances, à savoir le PDG de la CCR et le DG de la CNMA. Ce dernier se retrouve président de l’Organisation africaine des assurances pour une année au nom de l’Algérie.

Il devra mettre en œuvre les recommandations de la conférence. L’année prochaine, la conférence aura lieu en Namibie. La présidence sera donc automatiquement assurée par la Namibie, qui en assure la vice-présidence actuellement.

Comment permettre au secteur des assurances de contribuer à relever les défis de la sécurité alimentaire en Afrique ?

Le secteur des assurances a une double vocation. Il est d’abord un accompagnateur qui permet en cas de sinistre de procurer les moyens financiers pour relancer l’activité.

Il faut trouver des produits d’assurance adaptés à chaque situation et d’accompagner que ce soit le micro-investisseur ou le grand investisseur.

Ceci est possible en prenant en considération tous les paramètres (climatiques, politiques…).

Le deuxième rôle du secteur des assurances est le fait qu’il est un investisseur institutionnel de premier ordre. Il peut à travers des mécanismes, participer au financement de projets permettant de relever, par exemple, le niveau de production et de ce fait relever le degré de la sécurité alimentaire algérien ou africain.

Comment évaluez-vous le secteur des assurances en Algérie en comparaison avec les pays africains ? Y a-t-il des modèles en Afrique qui peuvent inspirer en Algérie ?

En Afrique, hormis les compagnies sud-africaines, il n’y a pas beaucoup d’assureurs qui ont un grand rayonnement sur le continent. L’assurance africaine représente 1 % de la production mondiale.

L’Afrique du Sud truste 70 % de la production en Afrique. L’assurance aux personnes représente une grande part de production en Afrique du Sud.

L’Algérie occupe la sixième place, mais elle peut être parmi les trois premiers pays en Afrique, si nous nous donnons les moyens de libérer les initiatives et de mettre en place une régulation indépendante et qu’on libère l’activité de la gestion administrative pure et dure comme elle l’est actuellement.

Pour nous inspirer de beaucoup de pays africains qui ont développé les assurances de personnes, il faut libéraliser le secteur bancaire et le marché financier car c’est le cœur du réacteur.

Le réseau de cliniques privées et le secteur public hospitalier peuvent créer des produits complémentaires de santé qui font partie intégrante de l’offre assurantielle à côté des produits d’épargne et du marché financier.

Nous devons nous inspirer des meilleures pratiques qui nécessitent de réguler et de ne pas sauvegarder une situation où le secteur public occupe une position dominante avec 80 % du marché bancaire ou des assurances.

Il faut au contraire stimuler la concurrence, combattre la discrimination entre le public et le privé, et pousser à ce que les acteurs privés s’affirment et commencent à prendre leur place.

Après, rien n’interdit que l’État ne privatise une ou plusieurs compagnies publiques même à travers la bourse ou un système triangulaire. Mais il ne faut pas imposer au marché des tarifs très bas qui mettent en difficulté l’équilibre financier de la branche automobile.

En Algérie, les tarifs réglementés sont aujourd’hui parmi les plus bas au monde.

L’un des défis majeurs à court terme annoncé par le Premier ministre dans son discours inaugural est la modernisation et la numérisation du secteur des assurances que ce soit en Afrique et prioritairement en Algérie.

D’ailleurs cela fait partie intégrante du programme électoral du président de la République dans l’engagement 23 parmi les 54 engagements.

La sécheresse et les dernières inondations qui ont eu lieu suite aux intempéries en Algérie ont fait subir d’énormes dégâts aux agriculteurs notamment aux céréaliculteurs.

Les agriculteurs algériens n’assurent pas leurs cultures contre les calamités naturelles. Comment inverser cette tendance ?

Il faut intégrer la culture de l’assurance. À chaque fois qu’il y a une catastrophe, l’État est obligé de mobiliser des moyens financiers pour apporter aide et assistance aux populations, ce qui est normal pour un État social, qui veut protéger sa population.

Mais on peut adopter graduellement un schéma triangulaire pour encourager les gens, même à contribution modeste, à commencer à s’assurer et l’État assure derrière une subvention de la prime et aux assureurs de trouver des produits adaptés.

Graduellement, l’État peut diminuer sa contribution et faire obligation à toutes ces catégories de s’assurer. En cas de sinistre, ce ne serait plus à l’État d’intervenir, mais au mécanisme des assureurs.

De son côté, l’État veillera à ce que les assureurs remboursent et indemnisent en temps, en heure et au montant convenu.

Ainsi, l’État ne va plus avoir ce rôle de pompier de dernier ressort avec des dépenses imprévues; mais assurer ses missions régaliennes de secours d’urgence et de protection des populations et son rôle de régulateur.

Ainsi, la culture d’assurance va s’intégrer. Bien sûr, il y a aussi une adaptation juridique à apporter aux textes actuels. La sécheresse, par exemple, n’est pas reconnue comme une calamité naturelle.

Il faut une refonte de tous les textes pour les adapter. L’assurance est un produit économique. Laissons les mécanismes économiques jouer leur rôle.

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