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Les Algériens de France confrontés au chantage à l’antisémitisme

Les Algériens de France confrontés au chantage à l’antisémitisme

Rares sont les intellectuels et personnalités de la diaspora algérienne en France à condamner publiquement les exactions de l’armée israélienne à Gaza. Pour un Karim Zéribi qui ose s’exprimer, combien se taisent ? En cause, la menace d’un chantage à l’antisémitisme, dans un contexte de montée de l’extrême-droite.

Lors d’un entretien avec Pascal Boniface diffusé mercredi, le directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), l’essayiste Hakim El Karoui, notait que « les artistes de confession musulmane s’exprimaient très peu sur les questions politiques ».

Il expliquait cette retenue par de la prudence : « Ils savent que toute parole politique, même au-delà de Gaza, est piégée pour eux. Donc, ils sont extraordinairement prudents. »

Les Algériens de France et le chantage à l’antisémitisme

Les positions en faveur des Palestiniens, et même de la paix sont systématiquement désignées comme de l’antisémitisme par les inconditionnels du gouvernement israélien, y compris quand elles sont exprimées par des personnalités non-musulmanes comme Jean-Luc Mélenchon, le chef de La France insoumise (LFI).

Face aux actes antisémites abjects et condamnables de quelques égarés, les Français issus de l’immigration maghrébine et plus globalement les musulmans de France sont vus comme des antisémites par nature. Mais les pro-israéliens ne ciblent pas uniquement les musulmans. Ils traitent d’antisémites tous les antisionistes, ceux qui critiquent Israël et son gouvernement extrémiste de Benyamin Netanyahou, les partisans de la paix et ceux, y compris des dirigeants étrangers, comme le président brésilien Lulla qui ont dénoncé le génocide à Gaza.

Pourtant, certains membres d’institutions juives en France, à travers leurs noms tels Khayyat, Nakkache, Assayag, Sabbagh oublient le vivre ensemble de leurs aînés en Algérie.

« Est-il possible de critiquer Israël ? » en France : la question du fâche

Comme chaque année, le 13 février 2023, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) tenait son dîner en présence de la Première ministre, Élisabeth Borne et de la classe politique française.

Le président du Crif, Yonathan Arfi, dont une partie de sa famille est originaire d’Algérie, prononce alors « un discours fort et engagé », selon ses proches.

Il décrit le parti La France Insoumise (LFI) comme « l’alliance de Pascal Boniface et de Jeremy Corbyn, la complaisance clientéliste avec l’islamisme ». Pour rappel, Pascal Boniface a publié en 2003 le best-seller « Est-il possible de critiquer Israël ? ».

Puis, Yonathan Arfi se pose en donneur de leçons et les critiques visent d’abord le Parti socialiste français : « Je le dis ici à nos amis du Parti socialiste ; il ne m’appartient pas de déterminer si l’alliance électorale avec LFI au sein de la NUPES [Nouvelle union populaire écologique et sociale] est une bonne carte électorale pour le PS. Mais je suis convaincu que c’est mauvais pour la République ».

C’est ensuite au tour de la diplomatie française de se voir accuser : « Le monde change vite. Au Proche-Orient, les Accords d’Abraham, en Iran, la contestation populaire, démontrent que, même en diplomatie internationale, l’espoir n’est pas interdit. »

Enfin, il se fait accusateur : « Dans cette région du monde en plein bouleversement, je souhaite que la France puisse jouer les premiers rôles. À l’heure où certains de nos alliés traditionnels comme le Maroc ou les Émirats arabes unis, et demain pourquoi pas, l’Arabie Saoudite, développent des liens avec Israël, c’est l’intérêt de la France d’accompagner ce mouvement géopolitique. »

Puis le couperet tombe devant les ministres et hommes politiques français restés cois : « Disons-le clairement : il est temps que le Quai d’Orsay révise son logiciel diplomatique. »

Une autre voix juive

Face au « discours fort et engagé » de Yonathan Arfi, c’est la stupeur et l’indignation parmi des intellectuels juifs français. Le 17 février 2023, l’historien et journaliste indépendant, Dominique Vidal, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, prend l’initiative d’une lettre ouverte à Yonathan Arfi intitulée : « Contre la dérive du Crif » que signent de nombreux intellectuels juifs qui désirent faire entendre « une autre voix juive ».

D’emblée Dominique Vidal, fils du linguiste judéo-espagnol revenu d’Auschwitz Haïm Vidal Sephiha et de Jacqueline Wolf, militante pour le FLN durant la Guerre d’Algérie analyse : « Votre discours au 37ᵉ dîner du CRIF nous semble franchir une étape nouvelle et dangereuse dans le positionnement de votre organisation. »

Il s’étonne : « Jamais un président du CRIF n’avait affiché avec autant d’arrogance sa prétention à donner des leçons à tout un chacun : à la République, au gouvernement, aux partis politiques, aux intellectuels et aux chercheurs – la manière dont vous attaquez nommément Pascal Boniface est inacceptable. »

Dominique Vidal indique alors le danger d’un tel positionnement : « En profilant le CRIF comme une ambassade bis de l’État d’Israël, défendant inconditionnellement la politique de celui-ci, vous ne trahissez pas seulement sa fonction : vous confortez l’amalgame mortifère entre un gouvernement israélien qualifié de « fasciste » par un ancien Premier ministre et les juifs de France, que vous contribuez à transformer en cibles. »

Hommes politiques français et concurrence des mémoires

Le 18 mars 2024, lors du 80ᵉ anniversaire du Crif fêté à l’Élysée, Yonathan Arfi récidive, en s’en prenant notamment à la chaîne qatarie Al Jazeera.

« Mais comment tolérer par exemple qu’une chaîne comme Al Jazeera, qui professe une vision radicalement opposée aux valeurs de la France, soit largement diffusée ? », a-t-il interrogé, avant de verser dans la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington qui sert de base idéologique aux courants extrémistes et xénophobes en Europe.

« Les démocraties sont fragiles, peu nombreuses et font face aux mêmes menaces, islamiste ou totalitaire : elles se doivent soutien et confiance réciproque. Vous l’avez exprimé courageusement concernant l’Ukraine, je veux ici le saluer », a-t-il dit.

Pour la classe politique française, l’arrestation et la déportation à la mi-juillet 1942 de plusieurs milliers de juifs par la police française restent une tache indélébile. Comme ses prédécesseurs, le président français est l’objet de la concurrence des mémoires.

Dans sa lettre ouverte au Crif, Dominique Vidal appelait à un sursaut : « Il est temps de revenir à l’inspiration de notre ami Théo Klein : contre la concurrence des mémoires et des victimes, pour une lutte commune pour la paix au Proche-Orient, contre l’antisémitisme et le racisme. »

Depuis des années, le Crif s’est installé dans la posture de défenseur de la mémoire. Nombreux sont cependant les observateurs qui notent sa « droitisation » et le fait qu’il est loin de représenter l’ensemble des Juifs de France.

Lors de son récent voyage à Marseille, le président Emmanuel Macron a été interpellé par une habitante d’origine algérienne. Cette interpellation pleine de dignité est salutaire à plus d’un titre. Elle aura notamment permis au président français de se confronter à la réalité et de se forger une idée plus équilibrée de l’opinion publique française.

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