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Hiziya telle qu’en elle-même l’éternité la change

CONTRIBUTION. Bien qu’ayant consacré deux années de ma vie à parcourir les terres traversées par la caravane de la tribu de Hiziya de Bazer Sakhra à Sidi Khaled, à lire tout ce qui a été écrit sur elle en commençant par le poème de Mohamed Benguitoun que j’ai disséqué vers après vers, en arabe et dans ses multiples traductions en français, à échanger avec des habitants de la région, des poètes surtout, avant d’écrire mon roman « Hiziya Princesse d’amour des Ziban » publié en 2017 en français et en 2018 en arabe dans une traduction de Abdelkader Bouzida, je n’ai pas voulu intervenir à chaud dans la polémique suscitée par mon ami Waciny Laredj.

Aujourd’hui et après sa dernière sortie à propos de la photo supposée de Hiziya qui illustre la couverture de mon roman, j’ai décidé de sortir de mon silence et de donner mon point de vue. En toute modestie, n’étant ni un historien ni un spécialiste du patrimoine poétique algérien. Concernant ce dernier point, il faut lire l’article du grand spécialiste de ces questions, le Dr Abdelhamid Bourayou, professeur universitaire retraité et chercheur en patrimoine immatériel, consacré au passage du poème à mon roman intitulé « Le chemin de la parole poétique vers d’autres arts créatifs : “Hiziya”, trajectoire d’un poème du patrimoine » (https://souffleinedit.com/poesie/hiziya-poeme-de-patrimoine/)

1) À propos de la mort supposé par empoisonnement de Hiziya, mon ami Waciny n’apporte rien de nouveau puisque plusieurs hypothèses ont été
depuis toujours évoquées sans que l’une ou l’autre n’ait été prouvée de manière irréfutable.

– Morte par empoisonnement
– Morte à cause d’une maladie grave
– Morte d’un coup de feu tiré par mégarde par Sa’ayyad
– Morte tuée par son propre père
– Morte par suicide

J’ai moi-même opté dans mon roman pour la mort par empoisonnement de Hiziya de la main d’une servante payée par un amoureux éconduit, rival de S’ayyad. Mais ce n’est là qu’un artifice littéraire. Voici le passage de l’empoisonnement de Hiziya extrait de mon roman :

« Mbarka, la servante, avait attendu cette cinquième étape pour agir. Profitant d’une absence momentanée de Hiziya que S’aiyyad avait accompagnée à la faveur de la nuit tombée, loin des regards, pour s’isoler, la servante se glissa subrepticement sous la tente… Les instructions de Kouider dit Mahroug Erras avaient été claires.

« Tu te glisseras sous la tente de Hiziya et tu verseras le contenu de cette poudre dans sa guerba lorsque la caravane sera à deux ou trois jours de marche de Sidi Khaled. Tu feras attention à ce que personne ne te voie. Est-ce clair Mbarka ?
– C’est clair sidi ! Il sera fait selon ta volonté sidi ! »
Il lui avait glissé dans la main un petit sac en tissu noir fermé par un cordon et un autre en tissu blanc.
« Il y a deux boucles d’oreilles et deux bagues en argent de grande valeur pour toi. Tu en auras autant en or à ton retour lorsque tu auras accompli ta mission.
Cet argent et cet or te permettront de quitter Sidi Khaled et d’aller t’établir ailleurs, libre mais loin d’ici, très loin.
– Merci sidi, merci, lui dit-elle en se courbant devant lui et en lui embrassant dévotement la main qu’il retira vite et s’en alla sans un regard pour la servante. »
Il pensait à l’homme qui lui avait vendu discrètement au souk les quelques pincées de poudre d’une plante qui, disait-il, assurait la mort sans souffrances au bout de quelques jours par un lent dépérissement. En dépit de l’affront subi par Hiziya et sa haine pour S’aiyyad, le fond d’humanité qui était en lui ne pouvait lui permettre de faire souffrir la belle convoitée.
« Puisqu’elle ne veut pas de moi, elle ne sera à personne ! », s’était-il dit en son for intérieur. » (Extrait de « Hiziya Princesse d’amour des Ziban »,
Chapitre V, Cinquième rihla, De M’doukal à El Mikhraf (Lichana – Biskra, sud-est algérien), Al-Thoulatha 8 Dhou Al-Hijja1295 – mardi 3 décembre 1878, pages 87-88).


À moins de déterrer les restes de la Princesse des Ziban et de prélever son ADN pour le soumettre à l’analyse comme on le fait avec les momies, personne n’est en mesure de prouver l’une ou l’autre des hypothèses énoncées ci-dessus. Mieux encore, personne parmi les spécialistes, de Constantin Louis Sonneck qui a fait connaître le poème à Abdelhamid Bourayou, en passant par Ahmed Lamine, Abdelhamid Hadjiat, Mohamed Belhalfaoui, Mohamed Souheil Dib, Naïma Al-Aqraïb, n’a opté pour l’une ou l’autre hypothèse.

2) À propos de son amoureux qui serait Benguitoun lui-même, là aussi mon ami Waciny n’apporte rien de nouveau puisque cette thèse a été avancée depuis longtemps sans qu’aucune preuve palpable ne soit apportée.

Par contre, des indices semés ici et là par Benguitoun dans son poème laissent deviner que son amoureux était bel et bien S’ayyad : l’utilisation à plusieurs reprises du mot « sœur » ou « sœurette » qui est un terme d’affection envers une sœur et ce que l’on sait, par contre, c’est que S’ayyad, orphelin recueilli par son oncle, le père de Hiziya, a vécu avec elle dès sa petite enfance, a grandi avec elle et s’est attaché à elle :
وانا يشبر هلكتني حيزيا
Enfant j’ai aimé à la folie Hiziya.

Comment expliquer autrement ces vers explicites sur les derniers instants de Hiziya serrée contre sa poitrine ?

لضت أختي صدري ماتت في حجـري

دمعة بصري على خدودي مجريا

Serrée contre ma poitrine, elle est morte dans mes bras ;

Mes larmes coulent sans cesse sur mes joues.

Plus explicites, la référence au nom de S’ayyad dans les vers suivants :

سعيد في هواك ما عاد شي يلقاك

كي يتفكر اسماك تديه غميا

راه سعيد حزين بيه الطوايا

S’aiyyad toujours épris de toi ne te reverra plus ;

Au seul souvenir de ton nom son esprit s’égare.

S’ayyad est triste de la perte du palmier élancé.

Et puis, nous avons surtout le témoignage clair et précis du petit-fils de S’ayyad, Khaled Ahmed Bey Si Bouakkaz, fils de Smaïl, fils de S’ayyad fils de Seghir, qui affirme, sur la base de témoignages de première main recueillis auprès de proches à Sidi Khaled, l’oasis natale de Hiziya, que c’est bien S’ayyad son amoureux et que le poème a été composé par son ami Mohamed Benguitoun à sa demande ( https://www.youtube.com/watch?v=fDMUiLn60GA&t=50s ).

3) Concernant la photo, personne n’a affirmé que c’était celle de Hiziya et d’ailleurs, je n’en voudrais pour preuve que le fait que d’autres photos sont
utilisées pour mettre un visage sur un nom. Si nous disposons bien d’une photo de Benguitoun, tous les chercheurs sérieux savent qu’il n’existe aucune photo réelle de Hiziya connue à ce jour. Si j’ai opté personnellement pour la photo de Lehnert et Landrock « Femme des Ouled-Naïl » datée de 1905, c’est qu’après de longues recherches pour illustrer mon roman, je suis tombé sur celle-là et je me suis dit : « c’est elle ma Hiziya ! »
© Éditions El Ibriz, Alger, 2017.
ISBN :
Dépôt légal :
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays.
Illustration de couverture : Photo de Lehnert & Landrock, Femme des Ouled Naïl, 1905.

Lehnert & Landrock est une maison d’édition de photos fondée en 1904 à Tunis par l’Allemand Rudolph Lehnert et le Suisse Ernst Landrok, spécialisée dans les paysages sahariens, les scènes de genre et les portraits particulièrement en Algérie et en Tunisie. L’écrivain suisse engagé, ami de l’Algérie, Charles-Henri Favrod leur a consacré d’ailleurs un ouvrage sous le titre « Lehnert&Landrock – Orient 1904-1930 » ( https://www.amazon.fr/Lehnert-Landrock-Orient-1904-1930-Charles-Henri/dp/2862342777 )

Il est un fait que le poème de Benguitoun qui n’est pas un poème d’amour mais une élégie, un chant de mort, reste muet sur trois choses : la raison de la mort de Hiziya et sa situation de femme ou d’amante, et c’est mieux ainsi puisqu’il permet à l’imagination du romancier de se déployer loin de toute affirmation péremptoire et définitive.

« Qui, un jour, dans les vastes steppes et les contrées sahariennes et dans d’autres régions d’Algérie n’a pas frissonné à l’écoute du refrain de cette longue plainte qui dit toute la peine et la douleur de l’amant au cœur brisé par la mort de sa belle ?

Azzouni ya mlah fi rais lbnat

Seknet taht lhoud nari magdia

Ya khayi ana dhrir bia ma bia

Gualbi saafer ou rah maâ dhamar Hiziya

Consolez-moi, ô bonnes gens, de la perte de la reine des belles

Elle repose sous terre, en moi un feu ardent brûle

Vous ne pouvez imaginer à quel point je souffre

Mon cœur s’en est allé avec la svelte Hiziya

Comme un palimpseste, l’histoire de Hiziya, portée par les paroles des transmetteurs, les dits des conteurs, les mots des poètes et les airs envoûtants des interprètes et des chanteurs, ne cesse de dérouler, feuillet après feuillet, couche après couche, son envoûtant mystère, son pénétrant parfum d’amour nomade.

H̱ŷzyya comme l’écrit Sonneck, Haizia ou Hayzia comme le proposent les uns, Hiziyya ou Hizia comme l’écrivent d’autres, quelle graphie choisir pour ce si beau nom d’une si belle histoire ?

Au-delà des nombreuses orthographes, l’essentiel c’est que, selon le verbe arabe à l’origine du nom, seules deux significations sont possibles pour Hiziya : « celle qui a la part belle » ou « celle qui marchait indolemment ».

Dans les deux cas, cela va à merveille à ma Hiziya, ma Princesse d’amour des Ziban dont le nom, lumineux comme un soleil d’été à son zénith au désert, a éclipsé celui des Bouakkaz qui ont régné plus de 450 ans sur les monts du Zab, ce nom dont la seule évocation fait battre le cœur des amoureux et rien qu’à prononcer le goût du miel de fleurs d’acacia au lait de brebis mélangé vient à la bouche des amants. »

Hiziya tient à la fois de l’histoire et de la légende et c’est du mystère qui auréole sa vie dans sa tragique splendeur qu’elle a gagné les cœurs et l’éternité telle qu’en elle-même elle la change.

*Écrivain


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