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El Kadi Ihsane : chronique d’une incarcération inéluctable

El Kadi Ihsane : chronique d’une incarcération inéluctable

Plus de quarante ans après, El Kadi Ihsane retourne en prison. Le journaliste, directeur et fondateur de Radio M et de Maghreb Emergent, a été placé ce jeudi 29 décembre sous mandat de dépôt par un juge du tribunal de Sidi M’hamed (Ager), après près d’une semaine de garde à vue dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Ihsane El Kadi, 63 ans, a connu l’arrestation dans sa jeunesse, au début des années 1980, sous le parti unique, pour son engagement en faveur de la démocratie et les droits de l’Homme en Algérie.

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Il a fait l’essentiel de sa carrière de journaliste au quotidien El Watan, avant de fonder l’agence Interface Médias, dotée d’un pôle de services aux entreprises et d’un pôle éditorial qui édite les deux sites d’information en ligne Maghreb Émergent et Radio M.

En mars 2019, un mois après le déclenchement du Hirak, il reçoit le prix Omar Ouarthilane de la liberté de la presse.

Mais ses déboires vont aussitôt commencer. Ces trois dernières années, il a fait l’objet de nombreuses convocations et poursuites, ainsi que plusieurs de ses journalistes, comme Saïd Boudour ou Khaled Drareni, détenu entre mars 2020 et février 2021.

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El Kadi Ihsane est poursuivi dans plusieurs affaires dont une a débouché sur sa condamnation à six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt. La peine a été confirmée en appel il y a quelques jours.

Le journaliste était poursuivi par l’ancien ministre de la Communication Amar Belhimer pour un article d’analyse politique publié sur Radio M en mars 2021.

Il fait aussi l’objet de poursuites devant le tribunal de Larbaâ Nath Irathen (Tizi-Ouzou) dans une affaire impliquant des militants locaux accusés d’« appartenance à un groupe terroriste ». Il a été aussi cité dans l’affaire du lanceur d’alerte Zaki Hannache, mais il a bénéficié d’un non-lieu.

Dans un communiqué rendu public en mars dernier, il a dénoncé un « harcèlement », « la quasi-impossibilité d’exercer » le métier de journaliste, « sans risquer des poursuites judiciaires et l’emprisonnement ».

Épée de Damoclès

L’épée de Damoclès a fini par tomber à l’issue de son interpellation au milieu de la nuit de vendredi 23 à samedi 24 décembre. Selon sa fille Tinhinane, El Kadi Ihsane était dans sa seconde résidence à Zemmouri (Boumerdès), lorsqu’il a reçu un appel téléphonique, vers 22h, l’invitant à se rendre immédiatement à la caserne Antar de la DGSI.

Il a expliqué à son interlocuteur qu’il lui est impossible de se déplacer dans l’immédiat du fait qu’il se trouvait à une quarantaine de kilomètres d’Alger. A 00h30, six agents en civil débarquent à bord de deux véhicules et l’invitent à les suivre, selon le récit de sa fille.

Les journalistes de Radio M et de Maghreb Emergent donnent l’alerte dans la matinée de samedi, mais restent sans nouvelle de leur directeur. Dans l’après-midi, celui-ci est amené, menottes aux poignets, au siège d’Interface Médias pour une perquisition à l’issue de laquelle le matériel de l’entreprise est saisi et son siège mis sous scellés.

Devant le silence du parquet et des services de sécurité, les spéculations sont allées bon train concernant les motifs de ces énièmes ennuis judiciaires. Des observateurs ont noté que quelques jours avant son interpellation, il avait signé sur Radio M une analyse sur la situation politique et l’éventualité de la candidature du président Abdelmadjid Tebboune pour un deuxième mandat, en 2024.

Mardi, des membres de sa famille et des avocats lui ont rendu visite. Ils sont sortis rassurés pour son état physique et moral mais pas davantage éclairés sur les motifs de son arrestation.

Ce n’est que ce jeudi, à l’issue de sa présentation devant le parquet de Sidi M’hamed que les charges qui pèsent sur lui sont connues.

Selon Maghreb Émergent, Ihsane est poursuivi en vertu des articles 95 et 95-bis du Code pénal, relatifs à la perception de financements de l’étranger. Il risque de ce fait une lourde peine.

Le texte prévoit 5 à 7 ans d’emprisonnement pour quiconque reçoit des fonds « d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays » à l’effet d’« accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions… »

La peine est portée au double lorsque les fonds sont reçus dans le cadre d’une association ou une organisation. Le Parquet n’a pas communiqué sur cette affaire et on ne sait de ce fait rien de la nature ni de l’origine de ces « fonds » ou « avantages » dont aurait bénéficié El Kadi Ihsane ou son entreprise.

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