Économie

Céréales : comment l’Algérie peut augmenter les rendements

L’Algérie veut augmenter sensiblement sa production de blé. Lors du dernier conseil des ministres tenu dimanche 22 janvier, le président Abdelmadjid Tebboune est revenu sur la nécessité d’atteindre un objectif de 30 quintaux de blé par hectare contre 17 actuellement. En avril 2022, le président Tebboune avait fixé un objectif de 40 quintaux à l’hectare.

Avec des importations annuelles de céréales de près de 2,25 milliards de dollars, la facture de l’Algérie est élevée dans un marché international devenu imprévisible depuis la crise ukrainienne.

Et si les minotiers algériens se mettaient à produire des céréales ?

Si l’autosuffisance en blé dur est à portée de main pour l’Algérie, cela est loin d’être le cas pour le blé tendre. Pourtant, entre subventions et autorisations de forage, les pouvoirs publics ne ménagent pas leurs efforts.

Depuis 1970, plusieurs diagnostics de la situation

Les avis sur les moyens d’augmenter la production sont nombreux. Le ministère de tutelle prône l’irrigation et les subventions.

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L’agro-économiste Ali Daoudi penche également pour l’irrigation comme moyen d’assurer un minimum de production locale. Au milieu des années 1970, appelé à la rescousse, l’agronome Michel Sébillotte diagnostique une inadaptation des outils utilisés pour emblaver annuellement les 7 millions d’hectares de terres céréalières que compte l’Algérie.

Quant à l’expert australien Jacky Desbiolles, suite à une visite réalisée en 2011 en Algérie, il a noté un retard technique de 30 ans par rapport à ce qui se fait dans son pays.

Il a proposé d’aller vers l’agriculture de conservation et d’abandonner progressivement la charrue, un outil qui assèche le sol, selon lui.

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Les économistes ne sont pas en reste. En 2010, l’économiste Abdellatif Benachenhou, déplorait que les bénéfices tirés de l’agriculture aillent à l’immobilier et au commerce.

Quant à Omar Bessaoud, il se demande comment peut-on espérer des progrès en absence de loi sur le fermage. En effet, comment vouloir favoriser l’investissement céréalier si le preneur n’est pas sécurisé par un bail reconductible de 9 ans comme cela se pratique par exemple en France.

Ministère de l’agriculture : des progrès palpables

En Algérie, la culture des céréales est marquée par des particularités : une agriculture minière qui a appauvri les sols durant la période coloniale, un déficit en pluies et une forte présence d’un élevage ovin qui interdit toute restitution de paille au sol.

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Les services agricoles ont surtout privilégié les aspects financiers et matériels : récent relèvement des prix à la production, subvention des semences certifiées, des engrais et du matériel agricole dont celui destiné à l’irrigation.

A cela, il s’agit d’ajouter les moyens déployés par l’Office Algérien des Céréales (OAIC) pour collecter les céréales.

Avec plus de 500 points de collecte, cet office semble avoir mis un terme aux files d’attente de 24 à 48h devant ses silos pour décharger les camions remplis de blé.

Avec l’acquisition récente de matériel d’origine turque, l’Office algérien des céréales (OAIC) revendique la production de 3 millions de quintaux de semences certifiées. A l’actif des services agricoles également, la récente autorisation accordée aux agriculteurs d’importer du matériel « rénové ».

De son côté, l’université algérienne a formé de nombreux cadres qui assurent notamment l’ossature des réseaux de l’agro-fourniture publique et privée.

Aujourd’hui, les équipes de technico-commerciaux des firmes internationales et des revendeurs locaux quadrillent la campagne en vulgarisant l’emploi des dernières nouveautés en matière d’engrais et d’herbicides.

Mais, alors que le désherbage est primordial, seuls 20% des superficies seraient désherbées en Algérie. Ce qui en dit long sur la diversité du niveau technique et d’équipement matériel des exploitations.

Des marges de progrès considérables

Malgré les moyens engagés, le retard relatif à la production de céréales reste important en Algérie. La cause ? Les handicaps liés au manque de pluies et à l’appauvrissement des sols.

D’où la nécessité pour les agronomes de trouver des solutions originales adaptées aux conditions locales. L’Institut Technique des Grandes Cultures (ITGC) a le grand mérite de pouvoir proposer toute une gamme de variétés de semences de céréales à haut rendement dont la célèbre variété Boussalem qui a atteint 72 qx/ha. Mais, il reste absent sur nombre de questions techniques.

L’explication est à rechercher dans les moyens matériels et humains dont dispose cet institut. En 2016, l’agro-économiste Omar Bessaoud confiait à El Watan : « L’Algérie ne dispose que de 593 chercheurs et ne compte que 17 chercheurs pour 100 000 personnes engagées dans l’agriculture. »

C’est peut-être ce déficit en matière de recherche qui fait qu’au ministère de l’Agriculture, le salut passe avant tout par l’irrigation. Sauf qu’irriguer du blé n’est pas toujours la première préoccupation des agriculteurs algériens.

Co-auteur d’une étude réalisée en 2022 au niveau du périmètre irrigué Guelma-Bouchegouf, l’agronome Sami Assassi note qu’un hectare de blé irrigué rapporte au propriétaire 85.000 DA contre 178.000 DA lorsqu’il est loué pour produire de la tomate irriguée. Chacun aura compris que le propriétaire procède à des arbitrages…

L’espoir mis dans la seule irrigation du blé laisse de côté la recherche de solutions concernant les éternels retards de semis, la faible valorisation des engrais, la lutte contre les mauvaises herbes ou la résorption de la jachère.

Chaque année, les terres en jachère, c’est-à-dire non travaillées, représenteraient 40% de la superficie céréalière en Algérie. Or, pour produire plus, il n’y a pas que l’augmentation des rendements qui compte, celle des surfaces emblavées s’avère un paramètre important.

Le renouveau des Chambres d’agriculture

Mieux pourvues en moyens, les stations de recherche pourraient produire les références techniques dont ont besoin les producteurs. Mais encore faut-il qu’il existe un relais entre ces stations et les céréaliers.

Les Conseils de Filières et les Chambres d’agriculture peuvent jouer ce rôle de courroie de transmission. A leur création, les Chambres d’agriculture de wilaya ont été parfois considérées comme le moyen d’accéder à plus de subventions et à son sésame : la carte de fellah.

Mais, comme le note un observateur étranger, depuis peu, ces structures connaissent une véritable « révolution culturelle ». En témoigne la récente initiative des agriculteurs d’El Menéa et d’El Oued. Ils ont organisé des voyages d’études inter-wilaya. Une chose jamais vue auparavant.

Plus de coopération internationale ?

La carte de la coopération internationale peut également être intéressante. Un tel recours n’est pas faire insulte aux compétences algériennes. Il peut permettre des synergies et donc de rapides progrès face aux défis de l’heure.

L’Algérie adhère à différents organismes internationaux et c’est par ce biais que de nouvelles variétés de céréales ont pu être acclimatées ou produites par les généticiens de l’ITGC.

L’Arab Center for the Studies of Arid Zones and Dry Lands (ACSAD) dont l’Algérie fait partie est à la pointe des techniques d’implantation rapide des céréales.

Cet institut bénéficie du transfert de technologies de la part d’experts australiens de renommée mondiale. De leur côté, l’Italie et la Turquie possèdent des compétences respectives dans la culture du blé dur et de celle des pois chiches à haut rendement.

Quant au fournisseur français de blé, il possède une longue expérience dans le domaine des coopératives de céréales, la gestion de l’azote ou le désherbage mécanique.

Alors que l’envolée du coût de l’énergie fragilise la filière française des céréales, celle-ci a plus que jamais besoin du débouché algérien. Ne serait-ce pas le moment d’exiger un partenariat gagnant-gagnant en développant les échanges entre professionnels des deux rives ?

Jusqu’à présent, les pouvoirs publics algériens ont largement subventionné la filière céréales, mais en omettant de fournir le cadre juridique approprié permettant l’éclosion d’associations professionnelles. La création des Chambres d’agriculture constituent un premier pas. Reste à rattraper le temps perdu.

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